Le temps est revenu pour moi de rêver et de ressasser indéfiniment les petites choses de la vie qui me font regretter une époque révolue.
Je ne m’étais jamais dit qu’un jour j’irai à Winnipeg. À vrai dire, je ne savais même pas où se trouvait Winnipeg, jusqu’à qu’un concours de circonstances me fasse aller là-bas, en juin 2016, puis encore en janvier 2017, et encore pendant l’été d’après. Je devais trouver ça très exotique d’aller au beau milieu de nul part.
Lorsque Paul a décroché son premier travail là-bas, il était évident que je n’irai pas. Archi évident. J’avais prévu de rester à Montréal pour l’été, j’avais déjà commencé à postuler à droite à gauche. Et pourtant, la curiosité est un vilain défaut, et loin de moi l’envie de laisser partir mon amoureux tout seul ! J’envoie un ou deux mails aux quelques journaux se trouvant sur place. J’ai un entretien le lendemain. Je décroche mon premier emploi (non, pas un stage!) de journaliste à La Liberté, unique journal francophone de la province, dans les dix minutes qui suivent. Alors hop, direction Winnipeg!
Winnipeg est la capitale du Manitoba, une province à l’ouest du Canada. Elle est connue pour ses hivers glacials et ses étés chauds bourrés de moustiques. Le Manitoba est une immense plaine, il n’y a pas l’ombre d’une colline à l’horizon. Il y a très exactement 1% de la population qui parle français, concentrée dans un quartier plein d’histoire nommé Saint-Boniface.
Un parc à Winnipeg
Paul, installé un mois plus tôt, vit justement dans Saint-Boniface. Il est en colocation avec Janelle, une manitobaine d’origine métis très lointaine (mais attention, elle a sa carte métis !) Son petit appartement est dans un condo sans charme donnant vue sur le supermarché immense du coin. Winnipeg est à l’image des banlieues canadiennes, dénuée de beauté et de culture. Les trucks et les malls se font la malle. Les canadiens sont en surpoids pour la plupart et ne marchent presque jamais. Il est difficile de complimenter la beauté extérieure globale de Winnipeg quand on vient d’une ville européenne.
Le bilinguisme winnipegois
Je m’attends à un tel calvaire que je m’habitue très vite à la ville, à ses ruelles boisées, à ses deux minuscules cafés et ses nombreuses associations francophones. Il y a du bon à être journaliste à La Liberté ; en deux semaines je connais la ville et sa population comme ma poche. Je prends mon petit-déjeuner à la boulangerie qui se donne des airs de française, j’enjambe mon vélo pour aller chez les voisins, je chine des petits hauts à Osborne (j’ai une faculté exceptionnelle à trouver des vêtements partout).
Je m’installe en colocation avec un couple d’écolos franco-manitobains trèèèès atypique. Ils raffolent de plantes et n’apprécient pas vraiment l’air frais, alors l’humidité et les odeurs font partie du quotidien. Ils ont des poissons et deux serpents, et font eux-mêmes leur pain et cultivent leurs épices. Il ne leur manque qu’une dose de sympathie, et le tour est joué.
Osborne Village
Mais comment ne pas parler de la gentillesse des gens (des autres) ? Des nombreuses fois où, la pluie battant son plein, mes collègues de travail m’ont appelée afin de me proposer un lift ? De mon voisin dans l’avion me proposant de me déposer dans mon quartier afin de m’épargner, justement, cette perte totale de repères ? Ou de ma directrice au travail me conseillant de partir plus tôt afin de « profiter du soleil ».
Une journée de travail à La Liberté avec Tadens
Mon métier de journaliste me permet de rencontrer des gens venus du monde entier. Des nouveaux-arrivés, des vieux, des jeunes portés vers l’avenir, des artistes, le prince Edouard d’Angleterre…L’entraide, ce civisme fou dont les français sont allergiques, me surprend très vite. Winnipeg accueille beaucoup de francophones venus du monde entier. Ils sont les bienvenus, et le chômage quasi inexistant dans la province.
Un autre joli parc à Winnipeg
Les winnipegois n’ont pas les mêmes occupations que nous ; de fait la ville est plus restreinte, les sorties plus rares. Mais le bénévolat et les activités communautaires sont au centre des préoccupations des gens. Ils font beaucoup de sport, ils adorent le baseball et le hockey, les pot-lucks. Il n’y a pas un canadien pas impliqué dans un festival, un colloque, une assoc. On est invités à dîner très vite, à des barbecues, des réunions familiales. J’ai beau avoir 22 ans, on me mélange à la masse de trentenaires et de quarantenaires comme si de rien n’était.
Faire une Spartan Race un dimanche
Se balader le long de la rivière rouge
C’est une ville où l’on s’entraide, où l’on accueille les nouveaux arrivants avec chaleur et sincérité. Je me prends à apprécier cette nouvelle quiétude qu’est la mienne. Moi l’éternelle fille de la ville, j’apprends à me satisfaire de moins. Je lie des liens indéfectibles avec Bernard, mon rédacteur en chef, mais aussi avec mes collègues. Je me sens partie intégrante de la population. J’apprends vite à manier l’art de l’entretien, du questionnement, de la curiosité et de l’écriture synthétisée.
Les diner canadiens
Le temps n’est pas très clément à Winnipeg. On l’appelle affectueusement « winterpeg ». Les soirées où l’on se décide à découvrir les nombreux restaurants de la ville (il y a plus de restaurants que d’habitants), la tempête éclate et gronde. On est trempés jusqu’aux os, incapables de rentrer dans une salle climatisée. On termine dans le big truck avec du Tim Hortons. Folle soirée !
Le quartier The Exchange
En effet, les Winnipegois raffolent du take-away et du drive in. C’est bien le premier endroit où je vois un Starbucks avec un accès voiture. Tout peut se faire en voiture, tout ! En revanche, la marche, elle, est réservée aux courageux. Il faut braver l’autoroute et les sans-abris alcoolisés pour caser un peu de marche au-delà des frontières des quartiers.
Le pont Provencher
Je m’habitue donc à cette étrange ville, au rythme de mes découvertes. Je quitte la verdure de Saint-Boniface pour le pont Provencher, ou l’esplanade Louis-Riel, qui donnent une vue imprenable sur la rivière rouge et le Musée Canadien pour les droits de la personne. C’est le plus beau musée que je n’ai jamais vu, il est empreint d’histoire et d’injustices telles qu’il est impossible de ne pas y retourner.
L’architecture du Musée Canadien pour les droits de la personne
J’y découvre pour la première fois l’histoire riche et diversifiée de cette province de l’Ouest. Interdiction formelle d’instruire le français jusqu’en 1970 ; enlèvement et torture d’enfants aborigènes jusque dans les années 60 ; racisme et injustices perpétuelles, scission entre les canadiens et les aborigènes, entre les winnipegois et les franco-manitobains, entre les franco et les québécois, entre les métis et les winnipegois. Winnipeg est un melting-pot d’origines et de cultures, d’avenirs avortés, de passés bafoués. J’en ferai mon mémoire l’année d’après. Cette base me sert dans mon travail ; les tensions sont subtiles et complexes.
En tant que française, je dois faire attention à ne pas heurter les franco-manitobains, fiers de leurs origines, de leur accent. Je dois les comprendre avant même de les aborder. Je dois valoriser par mes propos leur quartier, leurs coutumes. Tout doit ressortir dans La Liberté, vitrine de cette population.
Mais les étés à Winnipeg, c’est aussi des balades dans les quartiers qui se veulent hypster comme Osborne Village ; c’est aller voir les Jets jouer ; se balader à la Fourche, l’épicentre de la ville ; se faire un week-end à Minneapolis parce que c’est le seul lieu accessible pas trop naze ; se faire manger par les moustiques à Brereton Lake.
Gimli, la petite ville « balnéaire » proche de Winnipeg
Week-end au lac de Brereton où l’on a failli mourir intoxiqués par notre jacuzzi
Et les hivers (dont je n’ai que fait deux semaines à vrai dire) ce sont les escapades au chalet, dans les parcs naturels, à la recherche des ancêtres canadiens, sur fond d’activités sportives. C’est vivre à la canadienne, tout simplement, sans chichis.
Deux manteaux et plus de doigts de pieds plus tard…
L’hiver Manitobain
Somme toute, c’était bien sympa Winnipeg. On y revivrai pas forcément, mais c’était chouette.