De la sacristie au parti socialiste

Expériences de la fin du régime franquiste.

J’ai la chance d’avoir un oncle espagnol, dont le prénom, « Jesus » pourrait en intriguer plus d’un. Dans la continuité du projet « les origines », je laisse la parole à Jesus Martin, dont le texte a été traduit par sa femme Caroline Altieri.

Bien qu’ayant vécu toute mon enfance et une partie de ma jeunesse sous la dictature du Général Franco, je ne me souviens pas avoir été très conscient du régime de répression et du manque de liberté qui existait en Espagne à l’époque. J’ai eu une enfance heureuse dans une ville d’environ 3 000 habitants.

Mon père, officier, avait participé à la guerre civile espagnole et en était sorti vainqueur. Ses croyances religieuses profondes (il a étudié dans un séminaire) l’ont amené à s’enrôler une fois la guerre commencée, après la prise de Tolède par les forces franquistes. Il était également directeur de l’école du village, qui comptait à l’époque 9 enseignants. J’ai parfois aidé Don Andrés, le prêtre, à la sacristie, alors que je n’étais pas encore assez vieux pour être enfant de chœur. La politique ne faisait pas partie de nos vies au village et je me souviens d’une enfance très heureuse. J’étais le plus jeune de mes 8 frères et sœurs, le chouchou de tout le monde.

Jesus âgé de 4 ans, dans le village de Alcaudete de la Jara

J’ai des souvenirs clairs de la dictature de ces années-là, comme de devoir chanter l’hymne fasciste avec mon bras levé tous les matins avant d’entrer en classe. Je me souviens aussi que la Guardia civil (notre Gendarmerie) s’arrêtait et fouettait « La Estupenda » avec leurs ceintures, une femme « à la vie facile » bien connue dans le village. C’était peut-être la pire partie de ces dernières années du franquisme, l’étroite morale officielle qui imprégnait tout, qui habillait la vie de gris et empêchait la couleur de la joie de naître. J’étais trop jeune pour que cela me touche directement, mais je me souviens qu’un baiser en public était condamné à une amende allant jusqu’à 5 pesetas et les films au cinéma étaient censurés directement par Don Andrés.


L’école du village où chaque jour nous chantions, en formation avec le bras levé « Cara al Sol » (un hymne fasciste)

C’est à l’âge de quinze ou seize ans, alors que je vivais à Tolède, que j’appris en classe que Franco était arrivé au pouvoir après un coup d’état, bafouant la république démocratique. Ce fut un grand choc. C’était comme délégitimer quelque chose qui semblait être là depuis toujours, mais comme une évolution naturelle et logique des choses. Est-ce Franco qui avait alors déclenché la guerre ? Paradoxalement, j’appris cela dans une matière nommée « Formation de l’esprit national ».

J’appartenais depuis quelques temps à une organisation chrétienne de jeunesse appelée le Mouvement Junior, dont mon frère Pablo était secrétaire général en Espagne (il devint plus tard le chef de l’organisation internationale à laquelle appartenait le Junior, appelé MIDADEN). Bien que ce soit une organisation chrétienne, cela n’avait rien à voir avec la moralité chrétienne de Franco. Des débats ouverts sur toutes sortes de sujets ont été encouragés, dans une atmosphère de grande liberté. Là, j’ai commencé à prendre conscience des problèmes sociaux et politiques de cette fin du régime de Franco. Ce mouvement appartenait clairement à l’aile la plus progressiste de l’Église en Espagne.


Avec mon frère Pablo au début de notre époque  « Mouvement Junior »

Franco décéda en 1975, quand j’avais 15 ou 16 ans. C’est alors que commençait en Espagne une période historique appelée « La Transition Espagnole » (Une lente et difficile transition de la dictature a la démocratie).  Les années 70 furent des années très agitées pendant lesquelles le monde et l’Espagne passaient par une très grosse crise économique. C’était l’époque où je suis parti vivre à Madrid pour étudier à l’université. Et c’est là où ma conscience politique se dirigea vers une totale démocratie et pour la fin des institutions franquistes qui étaient toujours présentes.

Ma carte étudiante universitaire de première année

Cela faisait quelques temps que je n’étais plus dans le « mouvement Junior », et bien que je n’ai jamais appartenu à aucune organisation politique, je suis devenu représentant de mes amis étudiants, aussi bien dans le conseil d’administration de ma faculté que comme membre de la Commission Nationale de Coordination des Étudiants Universitaires. Je me souviens de grands débats et de confrontations avec les communistes qui voulaient monopoliser le mouvement étudiant. Plusieurs fois, nous votions avec les sociaux-démocrates contre les propositions de l’extrême gauche communiste. Petit à petit, ma sympathie pour les idées sociales-démocrates  augmenta ainsi que mon amitié personnelle pour certains collègues appartenant à la direction de la jeunesse socialiste.

L’extrême droite franquiste avait encore beaucoup de pouvoir et ne voulait pas y renoncer. Durant ces années, il y avait des meurtres politiques dans les rues. L’armée et la police n’avaient pas encore été réformées et la répression était encore très forte. Au cours de ces années, il a été dit, sarcastiquement, que les étudiants volaient, car les informations officielles faisaient souvent état du fait que lors de manifestations, la police avait été forcée de tirer en l’air, blessant ou tuant plusieurs étudiants. Comme j’étais responsable du bureau de presse en tant que coordinateur étudiant, j’appris que la police avait tué deux collègues lors d’une manifestation à Madrid. Leurs noms étaient Jose Luis et Emilio. C’était en décembre 1979 et le dictateur était mort depuis quatre ans. Bien plus tard, le 23 février 1981, une partie de l’armée tenta un nouveau coup d’État, kidnappant le gouvernement et l’ensemble du parlement pendant de nombreuses heures. Les chars furent sortis dans les rues de la région de Valence, mais le coup d’État a finalement échoué.


Affiche appelant à un acte d’hommage aux deux étudiants tués en 1979

L’année qui a suivi cette tentative de coup d’État, le parti socialiste a remporté les élections avec une large majorité. Là commence la fin de la transition, le début du renouvellement de l’armée et de la police et le début d’une étape de modernisation accélérée de l’Espagne. L’Europe avait de nombreuses années d’avance sur nous. Et nous, les Espagnols, devrions courir pour pouvoir nous homologuer avec n’importe quelle démocratie avancée Européenne.

Après avoir terminé l’université en 1983 et après plusieurs emplois de journaliste et photojournaliste, mon vieil ami de la jeunesse socialiste m’a demandé de l’aider à trouver quelqu’un pour travailler comme chef du bureau de presse de la Commission exécutive fédérale, en son siège à Madrid. Après avoir interviewé plusieurs candidats, j’ai décidé d’occuper ce poste.

Manifestation de la jeunesse socialiste contre la dictature militaire au Chili

Les années suivantes ont été incroyables. Un retour au bonheur de mon enfance. Je vivais avec une de mes sœurs et gagnait plus d’argent que je ne pouvais en dépenser. J’ai beaucoup appris et j’ai rencontré des gens très intéressants. On se souvient encore des années 80 en Espagne (surtout à Madrid) comme des années de joie et de liberté. L’Espagne a rejoint l’Union européenne et Madrid a connu la soi-disant «Movida Madrileña», une explosion créative et culturelle qui laissera sa marque pendant de nombreuses années. Et j’ai eu la chance d’être au milieu de tout ce tourbillon de liberté et de créativité. Ce furent les années où je commençais à travailler dans la publicité et, surtout, les joyeuses années 80 où j’ai rencontré l’amour de ma vie.

Moi travaillant comme journaliste avec mon Nikon autour du coup

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