Sur le chemin de Saint-Jacques

Sur le chemin de Saint Jacques, partie 1

« Tu sais que Saint Jacques il existe pas ? T’es au courant non ? Car ça serait bête de marcher tout ça pour un pauvre gars égorgé pour de faux ».

La légende raconte que Saint Jacques était un des douze apôtres du Christ. Premier apôtre à avoir subi le martyr, il fut décapité sous le roi Hérode en 44 après JC. En bref, la légende dit que ce fut en son honneur que les chrétiens commencèrent le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, aujourd’hui parcouru par des milliers de pèlerins tous les ans, notamment entre avril et octobre.

Il y a quatre chemins « classiques » : celui partant de Tours, celui partant du Vézelay, celui partant du Puy-en-Velay (emprunté historiquement par mes grands-parents, puis par mes parents) et enfin celui partant d’Arles. Les quatre routes se rejoignent en une seule à Puente-la-Reina. Un vrai pèlerin, en réalité, part de chez lui, à pied, et consomme les kilomètres avec amour jusqu’à son arrivée bien méritée à Santiago (Saint-Jacques pour les français).

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Mon premier chemin, de Logroño à Burgos

C’est par un concours de circonstances que mes pieds ont foulé les chemins espagnols. L’objectif était de passer du temps seule avec mon père, marcheur avide de Saint-Jacques depuis cinq ans, vrai fan de ce pèlerinage mythique dans lequel il parvient à trouver une forme de paix et de sagesse intérieure. Il est intéressant de noter que mon père est par nature bon. Bon vivant, bienveillant, tranquille. Quelqu’un de content et naturellement ébloui par les petits cadeaux de la vie ; car marcher avec moi, sa fille chérie, est je vous l’assure, un vrai cadeau. C’est donc le partenaire idéal pour une semaine de marche.

Le pas rapide, le nez en l’air, l’esprit vif, mon père avale les kilomètres avec l’impatience et l’insouciance des enfants. Il s’arrête prendre en photo un tournesol, s’extasie devant une botte de foin géante, met avec excitation son poncho géant (qui couvre intégralement son sac à dos) à la première menace de pluie. Inlassablement, il évoque sa vie, son enfance, et répond « Buen camino » à qui veut bien l’entendre. Il dépasse ainsi courageusement les marcheurs bien trop lents. Gare à celui qui tenterait de le ralentir ! Il souligne quand il le faut aux américains que lui, il est parti du Puy-en-Velay, et non de la frontière espagnole. Petits joueurs…enfin bon, ils ne pouvaient pas le savoir, avec toute cette publicité mensongère. Sportif confirmé, il refuse de déjeuner mais avale avec gourmandise des petites croquetas de jámon lors de pauses rapides et efficaces. « Ils ont tout compris en Espagne, j’arrive pas à croire que les français ne mettent aucun stands de nourriture sur le chemin ! » Il m’assure qu’il ne faut pas s’arrêter plus de dix minutes, car si nos muscles se refroidissent, terminado!

Nous logeons dans des petites pensions dénuées de charme, et cela amuse grandement mon père, qui, pour marquer le coup, prend un selfie ou deux pour en rire plus tard. Enfin, il n’oublie jamais, à peine arrivé sur place, de demander son tampon de pèlerin, preuve ultime de son parcours du combattant. C’est avec fierté qu’il me montre son passeport du marcheur, espérant qu’un jour, je parvienne à atteindre le même résultat.

A deux, nous avons parcouru 130km, et c’est avec tendresse que je me remémore ces souvenirs.

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On ne le réalise pas avant de le faire, mais Saint-Jacques de Compostelle n’est pas seulement réservé aux retraités faisant du 4km/h. On marche en moyenne 25km par jour, et la souffrance se fait vite sentir. Les hanches et les genoux prennent relativement cher, et je ne vous parle pas des ampoules aux pieds après une grosse journée de marche! Le compeed est le meilleur ami du marcheur.

On croise de tout sur le chemin, des personnes âgées certes, mais aussi beaucoup de jeunes. C’est le parcours des gens au carrefour de leurs vies : ceux qui en sont au tout début, après des études amorties, entamées ou qui se sentent bloqués dans une impasse existentielle. Et ceux qui sont plutôt à la moitié du chemin ; enfin à la retraite après quarante années de travail éreintant, enfin libérés d’un trop plein de responsabilités. J’ai croisé peu d’entre-deux, car les 30-40 ans sont souvent peu disposés à prendre du temps pour marcher seuls. Globalement, il y a beaucoup de bienveillance sur le chemin, des gens calmes et positifs qui souhaitent partager, le temps de quelques minutes, leurs expériences de vie.

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Néanmoins, c’est un vrai cheminement intérieur que l’on fait sur ce parcours. Car marcher rime forcément avec penser. Et du temps pour réfléchir, on en a ; tout d’abord en matinée, lorsqu’on parcourt des champs monotones, parfois interrompus par des petits villages au milieu de nulle part. On admire la beauté simple des paysages, on s’éblouit devant un parterre de pierres, une cathédrale préservée par des années de travail. On traverse des parcs, des forêts, collines, des villes et des autoroutes. La journée qui s’étale laisse le temps à la réflexion, ou tout simplement à la paresse. Faire une petite sieste, s’occuper de ses pieds, manger une omelette aux pommes de terre, et enfin, dormir encore et encore.

Mon premier chemin a été marqué par ma décision de quitter mon travail, dans lequel je n’ai jamais été épanouie. Bien que l’angoisse de l’inconnu me prit à la gorge au jour 3 de ce pèlerinage, je ne regrette pas d’avoir pris le temps de réfléchir à ce qui pouvait me rendre vraiment heureuse.

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Et c’est tout naturellement que trois semaines plus tard, je repris le chemin là où ma famille l’avait commencé. Au Puy-en-Velay. Mais cette fois-ci, seule !

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4 réflexions sur “Sur le chemin de Saint-Jacques

  1. Ma chérie,

    Quel plaisir de te lire et de me replonger dans ces moments passés ensemble. J’ai été touché par ton texte et par les jolies mots que tu a employé à mon égard.

    À refaire

    Je t’embrasse tendrement,

    Dad

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  2. Charlotte, encore un super post, captivant et inspirant: tu m’as donne envie de moi-meme effectuer ce voyage et prendre le temps de mediter. Tes recits sont toujours l’occasion pour moi de faire le plein de bonne energie, merci 🙂

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